L'assassin aveugle,

- Ma création ! ma création est parfaite !
Le Réprouvé manipule chaque membre assemblé et plonge son regard phosphorescent dans les orbites vides de la créature inanimée.
- Une amélioration de ce que vous êtes Mannjdyr, je le devine sans aucune compassion, aucune pitié, au delà de vos espérances finalement.
Une odeur pestilentielle règne dans la salle d'opération. Des viscères jonchent le sol souillé. Non loin, des crânes squelettiques, des os et du métal, des morceaux humanoïdes sont entassés dans ce qui semble être des immondices. Les deux "savants fous" s'activent à la dernière étape : "La naissance". Seule Dame Sylvanas permet et accorde ce droit à ses sujets sélectionnés, les Apothicaires.
- Mon enfant, je te lègue en héritage toutes mes possessions et mon nom... et toi, tu es quoi ?
Le second acolyte, ingénieur, cloue sur la face du défunt une paire de lunettes mécanisées, un liquide verdâtre s'écoule des fixations. Les Val'kyrs se mettent à l’œuvre et incantent "Les mots oubliés". Une vague d'énergie crépitante et grandissante envahie peu à peu l'endroit sinistre. Le père hurle à la déraison, vociférant ses dernières volontés :
- Assassin ! tu n'obéiras à aucune règle, aucune injonction !
Un murmure, peut être un songe s'ancre définitivement dans la tête du nouveau-né, comme une migraine dévorante. Le marteau du second frappe encore lourdement le métal.
- Cherche et trouve "Le Bras" et tu te souviendras de ton "avant-vie".

- Souvenir incertain, protocole z666a, contact : Solina dite "La Mère".
Sur les terres du Lordaeron, dès qu'une présence charnelle alliée est détectée, un Réprouvé murmure inlassablement les mots de l'appel :
- Le Bras... Le Bras de Lordaeron...
Un vélin encore sanguinolent, une plume de geai et quelques aiguilles pour écrire la lettre, fixer le sceau. La créature s'applique et obéit à un programme implanté :

Citation :

"Au nom de la Dame Noire,

Le Père Mannjdyr m'a donné comme consigne de me rapprocher de vous, La Mère. Je dois terminer mon ascension. Êtes-vous l'institutrice ? Je viendrai à vous, je trouverai la bannière. Ma complainte vous la percevrez, car je vous cherche et je vous trouverai.

Mann'"

La fin du message trahit l'agressivité, peut être une part de ce qui rend encore les Réprouvé trop humains finalement, la cruauté.
- Effacement des données, protocole z666b, lancement du protocole de recherche : 3, 2, 1...

La missive, aussi étrange soit-elle, était parvenue à Solina. Elle l'avait lue avec une certaine indifférence, comme à son habitude. Et c'est sans surprise qu'elle manda le Necrotraqueur Krein pour envoyer une convocation à cette pauvre âme damnée.

Citation :

"Bonjour.

Vous êtes convié(e) à un entretien au bureau de recrutement de Moulin-de-Tarren.

La date et l'heure sont indiquées à la suite de ce courrier.

Cordialement.

Nécrotraqueur Krein, recruteur du Bras de Lordaeron"

...
Les griffes acérées pénètrent les côtes et percent les poumons de la proie, la prêtresse Elfique hurle de douleur. Dans le combat rapproché, les armes de pugilat sont traîtres et imprévisibles, elles occasionnent des dégâts irréparables en éviscérant les victimes. Prise de panique elle ne peut esquiver la violence de l'autre coup, le foie est touché, le fluide de vie bleuté s'écoule abondement. Un court instant Mann'jdyr observe ce qu'il ne comprend pas, une vie entrain de s'éteindre contre sa carcasse froide, sa tête s'incline. Elle supplie Elune. Les pleurs, la désolation s'offrent au bourreau, tel un cadeau dû. Un brutal coup de pied avorte la scène presque romantique, la belle créature d'Ashenvale choit telle une morte-née. Mais que signifie le trépas ? qu'est-ce que l'empathie pour un monstre ? il n'est que métal et chair, conçu par deux ingénieurs apothicaires aliénés, un macchabée vide d'âme, une arme au service de la Dame Noire.
...
Sur Arathi, les affrontements contre l'Alliance sont terminés, La Horde remporte une victoire et engrange des ressources. Le Réprouvé s'éloigne des soldats sélectionnés, un courrier important est arrivé.
- Protocole Z666a, rencontre acceptée, destination : Moulin de Tarren au couché du soleil (mercredi 18 mai au soir).
...

...
Non loin du Moulin de Tarren, une créature ressemblant à un pantin désarticulé, déambule désœuvrée. Un bref instant, elle s'arrête et scrute les vieilles maisons à la recherche d'un signe, d'un blason. Le Réprouvé respire profondément d'un souffle encombré, réflexe atavique et inutile, d'une vie passée qui n'est plus...

Dans le vent puissant de la soirée d'été, le genre de vent qui pourrait être issu de la planète elle-même secouant un éventail pour chasser la lourdeur de la journée, un hurlement pu se faire entendre à travers toute la ville.

"Bêêêêêê..."

Kaathe, la fidèle monture d'Aghaa, dans toute sa splendeur de chèvre mort-vivante (comprendre : aucune splendeur), traverse la route centrale à folle allure, poursuivie par son capralier. Si si, c'est un mot. Techniquement. Il est fait à partir de lettres, ça veut dire que c'est un mot, non ? Bref.

"Viens là sale bête!" hurle le guerrier, de sa voix si particulière. Moitié ventriloquie, moitié le bruit issu d'un chat coincé au fond d'une cheminée depuis trois décennies, nourri uniquement des pigeons assez stupides pour essayer d'y faire leur nid, l'écho dérangeant gargouille d'avantage encore d'élucubrations sans intérêts. "Tu dois être bien peigné, sinon ça fait tâche !"

Tandis que l'animal continuait sa route loin de son propriétaire, celui-ci s'arrêta en croisant le regard de... d'un machin ressemblant à peu près à un mort-vivant ? Cessant sa poursuite sans espoir, tel un papillon repérant une fleur plus sucrée, ou dans le cas présent, un mort-vivant consterné par le manque de style d'un nouveau venu.

"Bonsoir. Loin de moi l'idée de critiquer, je trouve qu'il y a beaucoup d'attrait à l'idée de machine sans coeur, mais l'antenne, c'était vraiment nécessaire ?"

Retirant son nouveau masque (un crâne d'orc souriant parfaitement nettoyé et blanchi), Aghaa adressa à son interlocuteur un sourire comme il sait si bien les faire. Un sourire comme lui seul sait les faire, à vrai dire, étant donné que la majorité des morts-vivants ayant perdu la mâchoire inférieure ont rarement l'humeur nécessaire à ce genre d'expression. Son demi-rictus, difficilement plaçable sur l'échelle entre gentillesse sincère et plaisir sadique à base de torture psychologique, fut rapidement éclipsé par son masque, remis en place aussitôt. Il faut dire, il en était fier, de ce masque.

"En tout cas, bienvenue à Moulin-de-Tarren ! Je suppose que vous êtes là pour rejoindre le Bras ? Parce qu'entre nous, sans vouloir cracher sur la direction de la ville, à part ça, l'attrait touristique de l'endroit laisse à désirer. Il y a une époque où on trouvait des val'kyr dans le coin, je pense, mais la plupart sont parti. La météo est pas idéale pour se balader en culotte d'acier, je dois dire."

À travers les orbites vides du "masque" d'orc décharné, les yeux d'Aghaa, à peine visibles, était tordues par un nouveau sourire.

Protocole de réponse z666a, je ne suis ni Antenne ni Touristique, je me nomme Mann'jdyr. Protocole de fin de réponse z666b, je cherche Solina la Mère qui demeure ici. Et toi tu es quoi ?
A la mention du mot "bras", le réprouvé focalise son attention sur l'énergumène, ses lunettes métalliques s'ajustent.
- Je dois remettre un message vocal à un officier du Bras de Lordaeron.
Mann'jdyr semble pensif un bref instant, il analyse la situation et ponctue d'une voix monotone.
- Joli masque.
...

Les méninges s'affolèrent dans l'esprit d'Aghaa. Métaphoriquement, des tas de rouages étaient en perpétuelle affolement, à faire le tri entre les pensées logiques et les idées incohérentes. Les premières ayant une place privilégiée dans une réserve luxueuse où elles passeraient probablement les années à venir, tandis que les plus stupides partaient directement au front de sa personnalité afin d'agir sur le champs. Quand il s'agissait d'essayer de saisir le personnage, la question la plus utile pour avancer étant "Pourquoi pas ?". Et aujourd'hui ne serait pas une exception...

"La Mère? Je préfère répondre au nom de Dame Âmefeu, mais bref, vous êtes bien tombé, on dirait. Que puis-je pour vous?"

Malgré l'abérrance des propos tenus, la voix lugubre du réprouvé ne montrait aucune faille. Dans une assurance extrêmement naturelle, le genre qu'on ne trouve que chez les gens ayant eux-même oublié la différence entre la réalité et leurs jeux d'acteurs, Aghaa venait de jeter aux ordures tout besoin de lien entre la réalité de qui il était et la personne qu'il disait être.

"Si c'est pour un entretien, c'est par là." ajouta-t-il sans la moindre hésitation, ni même laisser place à une réponse. Il s'avança vers l'auberge, compensant encore une fois la vraisemblance par une assurance presque agressive. Après tout, il serait dommage de passer devant un véritable officier et ruiner l'illusion.

HRP:

...
A la question, Mann'jdyr répond à nouveau de la même manière, la même chose.
- Porter un message vocal à un officier du Bras de Lordaeron.
Le mort-vivant s'invite à la demande d'Aghaa en balayant du regard le lieu. Il lève un doigt accusateur et pointe l'officier.
- Vous... êtes un officier du Bras de Lordaeron, et toi tu es quoi ? Protocole z666a : livraison vocale du message.
Mann'jdyr triture ses lunettes, ses lèvres s'activent sans mot dire. Il semble parler, mais aucune syllabe, aucun son ne sort de sa bouche. Quelques minutes ensuite, il se fige et pose un genou à terre. Le Réprouvé attend quelque chose, l'intervention de son homologue, peut être un ordre.

Aghaa se crispa légèrement. Son rôle était en train de prendre sur lui, et il semblait déjà être agacé par l'incompétence et la bêtise de ses (pas vraiment) subalternes.

"Bon, eh bien, dis le, ton message vocal. Nous n'avons pas que ça à faire."

Debout face au type agenouillé, il croisa les bras et tapas du pied, l'air impatient. Ce n'était pas vraiment son genre naturellement, mais tout devait être parfait pour son rôle, n'est-ce pas ? Son regard sévère traversa les orbites vides de son masque, et se posa avec hauteur sur son interlocuteur.

L'espion enregistrait chaque élément de la conversation.
- Nous devons apporter certaines modifications Mann'.
Le Réprouvé acquiesce de la tête.
- Je prépare un module de vol de vie, je renforce son armure ?
- On renforce les poisons, on change ses griffes... et toi tu es quoi ? Ah ! et termine la nécro-armure urticante, prestement !
L'acolyte savant-fou se retourne, surpris.
- Tu m'as bien compris, nous devons procéder à l'upgrade. Les indicateurs ne mentent pas, on le rappelle !
...
A quelques kilomètres plus au sud, devant l'injonction de l'officier du Bras de Lordaeron, Mann'jdyr se relève et se dirige vers la sortie. Son comportement est curieux ; à l'instar d'un somnambule. Il titube et parle tout en se déplaçant, puis il s'arrête comme déconnecté.
- Officier ! Il est un prototype de la reproduction possible des Réprouvés. Moi Le Père, son concepteur, j'ai jugé que seul Le Bras de Lordaeron, fidèle à la Dame Noire, pourrait l'avoir en sa section : Bras Armé. Testez-le ! qu'il endure vos épreuves ou qu'il en succombe.
Le mort-vivant sort de sa paralysie, se retourne et détaille l'officier comme s'il ne l'avait jamais vu.
- Z666a, protocole de retour au laboratoire enclenché. Z666b, verrouillage mémoriel.

Un test, hein ? Voilà qui pourrait être amusant. Quel genre de bêtise sans intérêt pourrait-il faire faire à ce pauvre cobaye ? En attendant de se décider sur une idée spécifique, Aghaa avança vers l'extérieur, et secoua une cloche. À l'heure actuelle, il n'avait pas d'arme sur lui. Il avait décidé que ça serait drôle, si quelqu'un lui demandait où il l'avait mise, et qu'il répondait "On a eu une dispute, elle est retournée chez ses parents". Quoiqu'il en soit, il avait toujours quelque chose d'encore plus dévastateur : Kaathe, sa chèvre.
Malheureusement, vu les caprice de la capridée, elle ne viendrait probablement pas tout de suite. Surtout qu'elle était probablement encore fâchée pour la tentative de peignage.

"Tu veux être testé, donc ? Tu es quoi, exactement, un genre d'automate, mi cadavre mi méca-gnome ?"

...
Les lunettes s'activent et se focalisent à nouveau sur Aghaa à la prononciation du mot "gnome".
- Entendu, je rapporterai les oreilles de ces petits hommes. Et toi, tu es quoi ?
Le mort-vivant se retourne et murmure en s'éloignant...
- Je vaincrai au nom du Bras de Lordaeron, de la Dame Noire et je rapporterai les trophées demandés. Et toi, tu es quoi ?
Un bref instant il s'arrête, regarde en direction du nord, de la Fossoyeuse et jette au sol un bidule bourdonnant. Le métal animé se déplie et grince, des écrous tournent sans un sens puis dans l'autre, un gros objet prend forme.
- Protocole z666a, changement d'équipement requis, destination : laboratoire.
Mann'jdyr, le rejeton des valkyrs, exécute les ordres sans émotion, sans conscience et grimpe sur son petit avion en lévitation. Le macchabée s'envole dans un nuage noirâtre : mélange de poussière et de combustible volatile. La question d'Aghaa restera donc sans réponse, un vide comblé par une évidence bien réelle.
...